Corine Pagny nous livre depuis une dizaine d’années ses paysages émotionnels, ses traces mouvementées de corps élégants et voluptueux, nés de la rencontre entre l’encre sèche et la sueur de l’or. Cet équilibre entre élégance et érotisme se joue à une torsion près, un déhanchement inachevé, un regard pudique détourné. C’est, je crois, cette fuite du regard qui me bouleverse le plus dans les Gestes Nus. Le lien qui se tisse entre le modèle et l’artiste se perçoit bien plus dans ce recueillement et cette mise en soi accordés au modèle que dans l’exposition de la nudité du corps.
C’est là qu’on perçoit tout le talent de Corine, qui ne réside pas seulement dans cette maîtrise du trait et dans l’expression de la sensation mais dans le rapport à l’autre qui conditionne les séances de pose. La question de l’autre, la frontière qui nous sépare de nos dissemblables est au centre du travail de Corine et son engagement humanitaire se devait de déboucher sur un travail artistique. La rencontre avec les migrants regroupés à Calais l’a non seulement bouleversée mais convaincue qu’il fallait mettre en traits ces hommes et femmes errants, ces héros et héroïnes des temps déchus de ce début du XXIème siècle. En leur donnant trait, elle transcende leur parcours, redessine leur dignité, témoigne de leur humanité. Ils ne posent pas pour elle, elles les pose. Sa préférence va aux portraits de femmes, dont elle connaît déjà tous les contours mais qu’il a fallu percevoir sous un angle nouveau, celui non pas du déroulement de soi propre à ses nus mais de l’enroulement sur soi propre aux conditions extrêmes de vie des migrantes. Et nous d’affronter le regard qui se baisse ou se ferme, sauf quand il s’élève pour prier, et de l’accepter, même si on voudrait le capter et l’écouter. Et nous de sentir l’immense vide des abîmes où sont suspendus ces corps recroquevillés, ces êtres que rien ne relie à la terre, au territoire, ces femmes dans l’au-delà des frontières. Corine n’a pas oublié de montrer combien elles sont élégantes, dans cette souplesse fœtale, dans leur lutte contre le froid. Elle n’a pas oublié de montrer comme elles sont belles, ces cousines du sud qui portent encore au creux de leur cou la poussière d’or du continent africain.